Pourquoi les pratiques pharmaceutiques non éthiques perdurent-elles ?

Billet rédigé par Marie-Claire Wilhelm (Maillard), Maître de conférences à l’Université Grenobles Alpes

La difficulté de remettre en cause des pratiques établies

A l’heure où s’ouvre le procès en appel de l’affaire du « Mediator », la question de la manière dont les marketeurs du secteur pharmaceutique jugent l’éthique de leurs pratiques paraît essentielle. C’est le sujet que Bénédicte Bourcier-Béquaert et Jean-François Toti proposent dans leur article de Décisions Marketing de 2021. Au travers de dix-huit récits de professionnels du secteur permettant d’avoir accès à leur raisonnement éthique a priori, les auteurs interrogent le fait que certaines pratiques non éthiques perdurent au sein des organisations pharmaceutiques.

Les travaux antérieurs montrent que, concernant l’éthique des affaires, la formation du jugement éthique comme, par exemple, la prise de conscience du problème, sont indispensables pour l’adoption d’un comportement éthique. Or comment faire émerger le questionnement éthique ? Et comment faire évoluer des pratiques potentiellement non éthiques mais devenues la norme dans certaines organisations ?

La difficulté pour un décideur à prendre une décision éthique est réelle. Trois normes éthiques, individuelle, organisationnelle et professionnelle, coexistent et peuvent entrer en conflit. Par exemple, un marketeur peut hésiter à fidéliser sa clientèle en sachant que cela s’apparente à une contrainte pour celle-ci. Face à cela, un marketeur pourra se dédouaner de la question éthique individuelle puisqu’il est soumis à un objectif professionnel et/ou des contraintes de son organisation. L’autonomie du praticien est alors un préalable à sa réflexion éthique en amont de ses comportements.

La prise de conscience des praticiens dépend de la situation à laquelle il est confronté

Dans leurs résultats, les auteurs montrent qu’il n’y a pas toujours une prise de conscience de l’existence même d’un problème. Si certains ont parfois été confrontés à une problématique éthique, et notamment un conflit entre leur éthique individuelle, ou les normes du secteur santé, et les objectifs de l’organisation qui voulait commercialiser un produit, pour d’autres, le marketing est un ensemble de techniques à appliquer qui n’a pas à intégrer de réflexion éthique.

La prise de conscience dépend en grande partie de la situation dans laquelle le praticien se trouve. C’est d’ailleurs lors d’un lancement de produit, donc lorsque l’individu est confronté à une situation nouvelle, qu’il peut exprimer une prise de conscience éthique. C’est également via la réflexivité (informations ou questions posées par l’extérieur) que le questionnement éthique est plus susceptible d’émerger.

De plus, les normes éthiques invoquées sont multiples et vont conditionner le comportement et notamment le déontologisme, l’utilitarisme ou encore l’éthique de la vertu.

Les recommandations pour améliorer les pratiques éthiques

Ces résultats permettent d’identifier des recommandations en vue de contribuer à la mise en place de « bonnes pratiques marketing » dans le secteur pharmaceutique. Face au poids grandissant de l’importance d’une opinion favorable, les entreprises ont à cœur de favoriser la sensibilité éthique des praticiens. Les situations d’innovation sont notamment particulièrement pertinentes pour cette réflexion. Néanmoins, comme il n’est pas toujours certain que les organisations prennent les devants sur cette problématique éthique, les auteurs proposent un accroissement de l’intervention de l’Etat.

Ces réflexions pourront être élargies à toutes les entreprises, dans d’autres secteurs que l’industrie pharmaceutique.

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Un commentaire pour Pourquoi les pratiques pharmaceutiques non éthiques perdurent-elles ?

  1. REYES Grégory dit :

    Très intéressant. N’oublions pas qu’il y a des gardes fous dans le canal de distribution du médicament, le pharmacien d’officine et le médecin prescripteur. A eux d’être capables d’y voir clair dans le jeu de l’industrie pharmaceutique.

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